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La Mouette Rieuse


Acte I



Le hall d'un hôtel qui se veut luxueux. Au fond, le sas d'entrée, qui rejoint la rue. Par la sortie de gauche (côté jardin) on accède aux chambres, par celle de droite (côté cour) à la salle à manger et au parc. Sur scène : à gauche, le bureau de la réception, derrière lequel se trouvent les casiers, portant chacun le numéro d'une chambre ; à droite, un canapé, un ou deux fauteuils, et une table basse, sur laquelle sont posés quelques journaux. Quelques tableaux et plantes vertes pour égayer la pièce.

Au lever de rideau, Mme Chabron est en train de ranger la pièce.

 

Mme Chabron, appelant : Gilles ! Betty !

 

(Gilles et Betty entrent en même temps, lui à droite, elle à gauche.)

 

Betty : Oui, Maman. Qu'est-ce que tu veux ?

 

Mme Chabron : Je t'ai déjà dit cent fois de ne plus m'appeler "Maman" ! Appelle-moi « Madame Chabron ».

 

Betty : Mais pourquoi, Maman ?

 

Gilles, hautain : Ce n'est pourtant pas difficile à comprendre ! Les clients doivent ignorer que nous sommes de la même famille.

 

Betty : Qu'est-ce que ça peut faire ?

 

Gilles : Dans cette ville, nous n'accueillerons qu'une clientèle de luxe. Ces gens-là souhaitent être servis par un personnel soigneusement choisi, pas par « les gosses de la patronne » !

 

Betty : Mais j'ai jamais fait ça, moi !

 

Mme Chabron : Moi non plus, Betty. Mais ton frère, qui vient d'obtenir son diplôme de maître d'hôtel...

 

Gilles : ...avec mention...

 

Mme Chabron : ... va nous aider et nous expliquer.

 

Betty : J'ai pas envie !

 

Mme Chabron : Fais ce qu'on te dit ! Si votre père nous avait légué autre chose que des dettes de jeu, nous n'en serions pas là. Mais puisque cet hôtel est tout ce qu'il a réussi à gagner avec ce maudit poker, nous n'avons pas le choix.

 

Betty : On n'a qu'à le vendre !

 

Gilles : Cet hôtel est invendable dans l'état actuel. Il y a des fuites d'eau, la toiture à réparer, les peintures à restaurer...

 

Mme Chabron : D'ailleurs, où irions-nous, puisque votre père a joué, et perdu, la maison ?

 

Betty : C'est malin !

 

Mme Chabron : Tu as fini les chambres ?

 

Betty : Oui, j'ai fait les lits et le ménage. Enfin, dans celles où tu me l'as demandé.

 

Mme Chabron : Bien sûr. Les autres ne sont pas encore en état. (A Gilles.) Et toi, tu as préparé la salle à manger ?

 

Gilles : Oui, Mme Chabron. Mais il serait bon, désormais, que vous perdiez l'habitude de nous tutoyer.

 

Mme Chabron : Ah, oui ! Tu as raison. Enfin, VOUS avez raison, Gilles.

 

Gilles : Autre chose encore: le prénom de Firmin conviendrait mieux à ma fonction, je pense.

 

Mme Chabron : Comme vous voudrez, euh... Firmin.

 

Betty : Il va s'appeler Firmin, maintenant ?

 

Mme Chabron : Oui.

 

Betty : C'est pas juste ! Moi aussi, j' veux changer de prénom !

 

Gilles : Soit. Dorénavant nous vous nommerons Marguerite.

 

Betty, riant : Oh, chouette ! C'est joli,« Marguerite » !

 

Mme Chabron : Tout le monde a bien compris ?

 

Betty : Je suis Marguerite, Gilles s'appelle Firmin, et toi « Mme Chabron », comme si je ne te connaissais pas. Et on se dit tous « vous ». C'est ça ?

 

Mme Chabron : Parfait. Vous êtes vraiment remarquable, Marguerite. (Betty rit.) Eh, bien ! Que se passe-t-il ?

 

Betty : Quand on m'appelle « Marguerite », ça me fait rire.

 

Mme Chabron : Calme-toi. Les premiers clients vont bientôt arriver.

 

Gilles : Comment pouvez-vous en être certaine ?

 

Mme Chabron : La direction de la Compagnie Maritime a appelé tout à l'heure. A cause de la grève, le départ en croisière de leur navire de luxe a été retardé. Et ils ont choisi de loger leurs passagers ici en attendant.

 

Gilles : Comment se fait-il que parmi les nombreux hôtels de la ville, ils aient justement sélectionné « La Mouette Rieuse » ?

 

Mme Chabron : Notre ami Robert, qui travaille là-bas, leur a fait croire que c'était le seul hôtel de la ville ayant suffisamment de chambres libres.

 

Betty : Chouette, alors ! On va avoir plein de clients ! Et que des riches !

 

Gilles, ironique et désapprobateur : Très utile, ce Robert...

 

Betty, rougissant légèrement : Oh, oui ! Il est très gentil.

 

Mme Chabron : Et plus utile encore que tu ne crois : c'est lui aussi qui a déclenché la grève...

 

(Sursaut de Gilles, choqué. Mais il n'a pas le temps d'exprimer son indignation car à cet instant on entend du bruit au fond. Mme Chabron se poste derrière le bureau, Gilles entraîne Betty à gauche. Antoine apparaît à l'entrée du fond.)

 

 

 Scène 2

 

 

Antoine, à Mme Chabron : Excusez-moi. C'est bien ici que la Compagnie Maritime a réservé des chambres ?

 

Mme Chabron : Oui, c'est ici. Entrez, je vous en prie.

 

Antoine, vers l'extérieur : C'est bon. Venez.

 

(La comtesse, Moulinet, Estelle, puis Gaston et Léontine, entrent avec tous leurs bagages, dans un brouhaha de commentaires.)

 

La comtesse: : Quel charmant petit hôtel ! Comme c'est amusant !

 

Estelle : Nous avons échappé à la pluie, finalement.

 

Moulinet : Nom d'une pipe ! Quelle expédition !

 

Gaston : Dis-donc, Léontine, t'as vu ? C'est un vrai hôtel de luxe.

 

Léontine : Ben vrai ! On en a, du bol !

 

Mme Chabron : Bonjour à tous. Soyez les bienvenus à « La Mouette Rieuse ». Je suis Mme Chabron, la directrice de l'hôtel. Si vous voulez bien approcher pour remplir le registre, je vous indiquerai moi-même vos chambres.

 

La comtesse, s'approchant la première : Yolande de la Guvinière, comtesse de Fista-Verde.

 

Mme Chabron : Vous avez la chambre 121, Madame la Comtesse.

 

La comtesse : Je désire la suite la plus luxueuse. Je suis habituée à disposer de beaucoup d'espace.

 

Mme Chabron, gênée : C'est que... la Compagnie Maritime n'a réservé que de simples chambres et...

 

La comtesse : N'ayez crainte. Je règlerai moi-même la note.

 

Mme Chabron : Je regrette, comtesse, mais aucune suite n'est disponible actuellement.

 

La comtesse : Alors, soit. Après tout, cela me changera.

 

Mme Chabron, à Gilles, qui est venu attendre près de l'entrée : Firmin, veuillez indiquer sa chambre à Madame la Comtesse. Et prévenez Marguerite que nous avons besoin d'elle.

 

Gilles : Bien, Mme Chabron. Si Madame la Comtesse veut bien me suivre, c'est par ici.

 

(Il sort à gauche en portant les valises de la comtesse, qui le suit. Les autres clients se regardent, pour savoir qui doit demander sa chambre en premier.)

 

Moulinet, désignant le bureau à Léontine : Honneur aux dames...

 

Gaston : Bah ! (A Léontine.) On n'est pas pressés, pas vrai ? On prendra not' tour après la p' tite dame.

 

Estelle : Merci. (A Mme Chabron.) Estelle Jouter.

 

(Betty apparaît à gauche.)

 

Mme Chabron, donnant la clé à Betty : Chambre 123, Marguerite. (Petit rire de Betty. A Estelle.) Très belle vue sur le parc.

 

Betty, prenant ses bagages : Par ici, Madame.

 

Estelle, rectifiant : Mademoiselle.

 

(Elles sortent à gauche.)

 

Léontine : C'est à nous, alors ? M. et Mme Poirier.

 

Mme Chabron : Une chambre double, donc. Voyons... Chambre 137. Veuillez patienter une minute, Firmin va revenir.

 

Moulinet, s'avançant à son tour : Prosper Moulinet.

 

(Gilles revient à gauche, glissant dans sa poche le pourboire que vient de lui remettre la comtesse. Il prend la clé et les bagages des Poirier. Il commence à sortir, suivi de Léontine. Gaston, qui feuillette un journal, ne bouge pas.)

 

Léontine : Ben qu'est-ce tu f... ? Viens !

 

Gaston : Vas-y,toi. J'arrive.

 

(Gilles et Léontine sortent à gauche.)

 

Mme Chabron : Vous avez la chambre 129, M. Moulinet.

 

Antoine : Il ne reste donc plus que moi.

 

Mme Chabron : Vous êtes Monsieur...

 

Antoine : Pa... euh... Dupuis. René Dupuis.

 

(En entendant ce nom, Moulinet réagit comme s'il le connaissait. Il observe attentivement Antoine, puis le quitte des yeux, comme s'il s'était trompé.)

 

Mme Chabron : La 131, Monsieur.  Bon séjour parmi nous.

 

Antoine : Il sera de courte durée, j'espère.

 

(Betty, puis Gilles reviennent à gauche. Gilles s'approche de Gaston

pour réclamer un pourboire.)

 

Gilles : Voilà, Monsieur. (Tendant la main discrètement.) J'ai déposé les bagages dans votre chambre... (Il montre bien sa main car Gaston ne semble pas comprendre.) et veillé à ce que votre épouse ne manque de rien.

 

Gaston, voyant la main tendue de Gilles et la lui serrant, un peu surpris : Bon, ben merci, mon vieux. Merci.

 

(Gilles renonce alors, et conduit Moulinet à sa chambre.)

 

Gilles : Si Monsieur veut bien se donner la peine...

 

(Ils sortent à gauche. Betty prend la clé de la chambre d'Antoine et s'apprête à prendre sa valise.)

 

Antoine, galamment : Laissez, je vais la porter.

 

Betty : Pourquoi, vous avez pas confiance ?

 

Mme Chabron, sévère : M. Dupuis est très courtois, Marguerite. Vous devriez plutôt le remercier.

 

Betty, riant : Excusez-moi. Venez.

 

(Antoine est vexé. Ils sortent à gauche.)

 

 

Scène 3

 

 

Mme Chabron, à Gaston : C'est la première fois que vous partez en croisière ?

 

Gaston : Moi ? Ben oui. C'est même la première fois qu'on va à l'hôtel, moi et Léontine. Vous savez, on n'a pas l'habitude du luxe. Moi, j' m'en f... un peu, remarquez. Mais Léontine, ça la faisait rêver, le voyage en bateau. Alors on a bouffé des saucisses « Gros Porc ».

 

Mme Chabron, un peu perdue : Des saucisses ? Je ne saisis pas bien.

 

Gaston : Ben oui. Rapport au concours ousqu' y avait le voyage à gagner.

 

Mme Chabron, comprenant : Ah ! Vous avez gagné votre croisière.

 

Gaston : C'est ça. On est arrivés premiers au tirage au sort. Remarquez, c'est pas que du bol. Vu que plus on envoie des bulletins, plus on a des chances de gagner, on n'a bouffé que des saucisses « Gros Porc » pendant six mois.

 

Mme Chabron : Six mois !

 

Gaston : Ouais. Matin, midi et soir. Remarquez, ça a marché. On est des malins.

 

Mme Chabron, étonnée : Je croyais que dans ce genre de concours, le nombre de participations était limité.

 

Gaston, embarrassé : Ouais, c'est vrai. Mais on s'est... débrouillé. (Mme Chabron cherche à comprendre. Il trouve un prétexte pour sortir.) J' vais voir la chambre. Léontine doit encore être en train de fouiller dans mes affaires.

 

(Il sort à gauche, et croise Gilles et Betty, qui entrent.)

 

 

Scène 4

 

 

Mme Chabron : Tout le monde est installé ? Pas de problème ?

 

Gilles : Quelques remarques sur l'état des murs et des plafonds. D'autre part, certains clients semblent méconnaître les usages.

 

Mme Chabron : M. et Mme Poirier ?

 

Gilles : Oui. Et enfin, je m'attendais à une clientèle plus importante.

 

Mme Chabron : A cette époque, les passagers des croisières sont dix fois moins nombreux que les équipages. La Compagnie Maritime doit même faire de la publicité sur les paquets de saucisses.

 

Betty : Moi, ce que j'aime, c'est quand on me donne une pièce, même si j'ai pas porté les valises.

 

Mme Chabron : Pourquoi t'es-tu moqué de ce M. Dupuis, tout à l'heure ?

 

Betty : Mais Maman, je t'ai déjà dit ! C'est quand tu m'appelles « Marguerite » que ça me fait rire.

 

Gilles : Je vous rappelle que nous devons constamment nous vouvoyer. On pourrait nous entendre.

 

Mme Chabron : Tu as raison, mon grand. Betty, écoute ce que dit ton frère.

 

Gilles, contenant son énervement : Vous aussi, Mme Chabron.

 

Mme Chabron : Ce qui est fâcheux, c'est que nous aurions pu gagner davantage en préparant une des suites. (Brusquement.) Oh ! Le repas ! Je dois y aller.

 

Gilles : Prenez garde. (Bas.) Personne ne doit découvrir que c'est la directrice qui fait la cuisine. Sinon, c'en est fait de la réputation de notre établissement.

 

Mme Chabron : Oui, oui. Marguerite, venez m'aider.

 

(Betty rit de nouveau. Elles sortent à droite. Estelle entre à gauche.)

 

 

Scène 5

 

 

Gilles : Mademoiselle n'a besoin de rien ?

 

Estelle : Non, merci.

 

Gilles : Mademoiselle est satisfaite de sa chambre ?

 

Estelle : Oui. J'aime beaucoup la vue sur le parc. On dirait une petite jungle. Cela m'inspire.

 

Gilles : Oh ! Mademoiselle est écrivain ?

 

Estelle : Non, pas vraiment. Je suis journaliste.

 

Gilles : Il s'agit certainement d'un métier passionnant. Puis-je demander à Mademoiselle quel sujet elle traite actuellement ?

 

Estelle : Aucun en particulier. Je prends des vacances. Mais peut-être observerai-je quelque chose d'intéressant, matière à un bon reportage. (Changeant de ton.) Je vous demanderai de ne pas répéter tout ceci, car les gens se méfient souvent des journalistes.

 

Gilles, tendant la main : Mademoiselle peut compter sur ma discrétion.

 

Estelle, lui glissant un pourboire à contre-cœur : Elle est plutôt intéressée, votre discrétion !

 

Gilles : Mais Mademoiselle peut obtenir de moi des renseignements utiles. Si je découvre quoi que ce soit d'intéressant, je le signalerai aussitôt à Mademoiselle.

 

Estelle : Bien, je compte sur vous.

 

Gilles : Avec plaisir, Mademoiselle.

 

(Il sort à droite. Un temps. Antoine entre à gauche.)

 

 

 

Scène 6

 

 

Antoine, surveillant les entrées : Alors, Mademoiselle, comment trouvez-vous cet hôtel ?

 

Estelle : Il a certainement été très confortable... il y a longtemps.

 

Antoine, même jeu : Oui. L'entretien semble plutôt insuffisant.

 

Estelle : Et que pensez-vous du personnel ?

 

Antoine, même jeu : N'en parlons pas ! J'ai voulu être galant et la femme de chambre m'a ri au nez.

 

(Il vient vers elle, rassuré.)

 

Estelle, changeant de ton : Nous pouvons parler ?

 

Antoine : Il n'y a personne pour l'instant, mais on peut venir à tout moment. Nous devrions aller dans ma chambre.

 

Estelle : Surtout pas. On pourrait me voir entrer ou sortir. Personne ne doit savoir que nous nous connaissons.

 

Antoine : Tout de même, quelle poisse, cette grève !

 

Estelle : Oui. Toi qui voulais quitter le pays le plus vite possible !

 

Antoine : Tu as contacté ton oncle ?

 

Estelle : Oui. Il sera ravi de nous accueillir. Il ne dira rien à personne.

 

Antoine : Tu lui a dit que j'étais recherché par la police ?

 

Estelle : Non, bien sûr. Je lui ai dit que tu m'avais enlevée parce que mes parents refusaient notre mariage.

 

Antoine : Il ne va pas s'inquiéter si nous arrivons plus tard que prévu ?

 

Estelle : Tu sais, là-bas, sur son île, le temps importe peu.

 

Antoine : Je me demande comment va se terminer cette aventure.

 

Estelle : Il suffit qu'on retrouve le vrai voleur pour que tu sois innocenté.

 

Antoine : Oui, mais qui va le découvrir ? La police est persuadée que c'est moi le coupable.

 

Estelle : Reconnais qu'il y a de quoi ! Des tableaux sont volés dans un château isolé, et les seules empreintes relevées à l'extérieur sont les tiennes.

 

Antoine, s'énervant : Mais je venais chercher de l'aide parce que j'étais en panne !

 

Estelle : Calme-toi, mon chéri. Je le sais, moi.

 

(Elle s'approche de lui tendrement, puis s'écarte rapidement car Betty entre à droite. Elle les regarde un instant, puis sort à gauche.)

 

Antoine : Elle nous a entendus, tu crois ?

 

Estelle : Mais non. Cesse de t'inquiéter.

 

Antoine : Tu en as de bonnes ! Ce n'est pas toi qui risques dix ans de prison.

 

Estelle : En attendant, nous allons faire une belle croisière et nous reposer tous les deux sous les tropiques.

 

Antoine : Il faut passer la frontière, d'abord. Plus nous devrons attendre, plus je risque d'être reconnu.

 

Estelle : N'aie pas peur. Qui pourrait te reconnaître ?

 

Antoine : N'importe qui. N'oublie pas que ma photo a été publiée dans le journal.

 

Estelle : Ce n'était qu'une édition locale.

 

Antoine : Elle était peut-être aussi dans d'autres journaux.

 

Estelle : Tu n'es pas l'ennemi public n°1 ! J'ai utilisé ma carte de presse pour mener une petite enquête, et je sais que ta photo n'est parue que dans notre région. Les gens d'ici ne l'ont jamais vue.

 

Antoine, peu convaincu : Peut-être.

 

Estelle : Cesse de t'inquiéter. Avec le passeport que je t'ai trouvé, tu passeras la frontière sans problème.

 

Antoine : Je me méfie des faux papiers.

 

Estelle : Ce n'est pas un faux ! C'est un vrai passeport, sur lequel j'ai très habilement collé ta photo. Les douaniers n'y verront que du feu.

 

Antoine : Nous avons eu de la chance que ce Dupuis le laisse tomber juste devant toi, et que son signalement corresponde a peu près au mien.

 

Estelle : En réalité, je ne l'ai pas trouvé du premier coup. J'ai dû en emprunter une trentaine avant d'en obtenir un qui convienne.

 

Antoine, soufflé : Tu veux dire... que tu ne l'as pas trouvé par terre ?

 

Estelle, riant : Pas tout-à-fait, non. J'ai même découvert que j'avais un certain talent de pickpocket...

 

Antoine : Mais tu es une vraie voleuse ! Et c'est moi qu'on veut arrêter !

 

Estelle : Mais je suis une voleuse honnête, mon chéri. J'ai pris le passeport qui devait te servir et j'ai restitué les trente portefeuilles au commissariat, avec tout leur contenu.

 

Antoine : Tu plaisantes ?

 

Estelle : Non. Les policiers ont été un peu surpris, mais ils m'ont félicitée. Je leur ai dit que je les avais trouvés près d'une poubelle. Ils ont cru que le voleur avait dû s'en débarrasser rapidement, et ils ont même envoyé quelqu'un pour le coincer s'il revenait chercher son butin. (Riant.) Quand je pense qu'un de ces braves policiers a certainement passé des heures à surveiller une poubelle !

 

(Betty entre à gauche. Silence gêné.)

 

Antoine : Mademoiselle ! Est-ce que le dîner sera bientôt prêt ?

 

Betty : Pas avant un bon quart d'heure.

 

Antoine : Qu'est-ce que nous pourrions faire en attendant ?

 

Betty : Je sais pas. Vous promener dans le parc, par exemple.

 

Antoine : C'est une idée. (Désignant la gauche.) C'est par ici ?

 

Betty, désignant la droite : Non, par là. Je vais vous montrer.

 

(Ils sortent à droite. Moulinet entre alors à gauche.)

 

 

Scène 7

 

 

Moulinet : Pardon, Mademoiselle. Le téléphone de ma chambre ne marche pas très bien. Vous savez où il y a un autre poste ?

 

Estelle : Non. (Elle regarde autour d'elle et voit le poste de la réception. Elle le désigne à Moulinet.) Celui-ci, peut-être.

 

Moulinet : Ah, oui. (Il décroche l'appareil et écoute la tonalité.) C'est bon, ça marche. Merci. (Il compose son numéro. Estelle se retire à droite.) Allô ? (La comtesse entre à gauche. Il ne la voit pas. Elle sursaute en l'entendant.) La gendarmerie ? Inspecteur Moulinet à l'appareil. (La comtesse sort à droite.) Passez-moi Lenvert. Henri ? C'est Prosper. Hein ? Oui, oui. « Youp-là boum ! » Ha, ha ! Sacré Henri ! Non. Je ne suis pas encore parti. Une grève, figure-toi ! Des gens louches ? (Il regarde Gaston, qui à cet instant traverse la scène de gauche à droite.) Oui, il y a quelques-uns. Mais je ne crois pas que je vais trouver des voleurs, comme pense le patron. Enfin, puisqu'il faut soi-disant assurer la sécurité des passagers après les plaintes qu'il y a eu, j'en profite pour faire une croisière à l'œil. Et puis le toubib a dit que j'avais besoin de calme. ça me fera du bien. Dis donc, « René Dupuis », ça te dit quelque chose ? J'ai entendu ce nom-là, tout à l'heure, et ça me rappelle un truc, mais je trouve pas quoi. Ah ? C'est le seul qui n'avait pas retrouvé son passeport dans l'affaire des trente portefeuilles. C'est pour ça que je m'en souviens. Tu penses ! J'ai planqué pendant trois jours dans une poubelle pour cette histoire. Oui, oui. Je sais très bien que c'est pas forcément le même, surtout avec un nom comme ça. Je voulais juste retrouver ce que c'était. Bon, merci, je vais te laisser. Non, non. J'ouvre l'œil quand même. Et ne t'inquiète pas : (Léontine entre à gauche.) Personne ne sait que je suis de la police ! (Léontine s'arrête net en l'entendant puis, constatant qu'il ne l'a pas vue, sort rapidement à droite.) Allez, salut ! Je t'enverrai une carte postale ! (Il raccroche.) Ha ! Sacré Henri !

 

(Il sort à gauche. Gaston et Léontine entrent à droite.)

 

 

Scène 8

 

 

Gaston : Alors ? Qu'est-ce que t'as à t'agiter comme ça ?

 

Léontine : Le type de t 't à l'heure, il est de la police !

 

Gaston : T'es sûre ?

 

Léontine : Ouais. A tous les coups, c'est pour nous.

 

Gaston : Mais, non ! Comment il peut l' savoir, qu'on a triché pour gagner ?

 

Léontine : J'en sais rien, moi !

 

Gaston : P' t-êt’ e qu'il a des soupçons, mais il peut pas avoir des preuves.

 

Léontine : C'est pour ça qu'il nous a pas encore arrêtés ?

 

Gaston : Sûrement. Alors faut faire gaffe, c'est tout.

 

Léontine : Gaston, j'ai peur ! Faut filer en vitesse !

 

(Elle sort rapidement à gauche.)

 

Gaston : Mais non. Attends !

 

(Il sort derrière elle. La comtesse et Estelle entrent à droite.)

 

 

Scène 9

 

 

Estelle : Le dîner n'est pas prêt !

 

La comtesse : Oui, le service laisse à désirer. Ce n'est pas tout ce que j'ai à reprocher à cet établissement, d'ailleurs. Mais j'ai un souci plus important, actuellement.

 

Estelle : Vraiment ?

 

La comtesse : Je souhaite parler à quelqu'un et vous m'êtes sympathique. Mais vous ne répèterez pas ce que je vous dirai, n'est-ce pas ?

 

Estelle : C'est promis.

 

La comtesse : Et bien voilà: je viens d'apprendre, par hasard, que M. Moulinet est en réalité inspecteur de police...

 

Estelle, effrayée : Ah !

 

La comtesse : N'ayez pas peur, mon enfant. Vous ne risquez rien, puisque vous n'avez rien à vous reprocher. Tandis que moi...

 

Estelle, surprise : Vous ?

 

La comtesse : Oui. Vous savez comme le fisc est exigeant dès que l'on possède quelques biens. Alors, pour lui échapper, je dissimule parfois certains objets de valeur.

 

Estelle : Mais que voulez-vous qu'il découvre ici ?

 

La comtesse : Les œuvres d'art que je transporte.

 

Estelle : Vous les emportez même en voyage ?

 

La comtesse : J'ai une propriété, sur le parcours de notre croisière, où ces petites choses seront à l'abri.

 

Estelle : Mais c'est dangereux !

 

La comtesse: : Oui. C'est pour cette raison que cela m'amuse !

 

Estelle : Et vous me dites tout cela comme on confie une recette de cuisine ! Et si j'étais de la police, moi aussi ?

 

La comtesse : Non, je ne crois pas que vous en fassiez partie. Et puis, prendre des risques fait partie du jeu. D'autre part, je pense que vous pouvez m'être utile.

 

Estelle : Comment ?

 

La comtesse : En me prévenant si vous voyez M. Moulinet tourner autour de ma chambre, ou poser trop de questions à mon sujet. Alors, puis-je me fier à vous ?

 

Estelle : C'est entendu.

 

La comtesse : Je vous remercie.

 

(Elle sort à gauche. Estelle, seule, fait des signes vers la droite. Antoine arrive alors.)

 

 

Scène 10

 

 

Antoine : Qu'est-ce qui se passe ? Tu es folle de m'appeler comme ça ! Tu veux que tout le monde sache que nous nous connaissons, ou quoi ?

 

Estelle : Je viens d'apprendre une terrible nouvelle: Moulinet fait partie de la police !

 

Antoine : Nom d'un chien ! Je suis foutu !

 

Estelle : Pas encore. Soit il ne sait pas qui tu es, et tu n'as aucune raison de t'inquiéter, soit il te suit pour trouver ton butin, et alors il ne fera rien avant de le retrouver.

 

Antoine : C'est toi qui le dis !

 

(Gaston et Léontine entrent à gauche.)

 

Gaston, bas, à Léontine : J' te dis de rester là ! Si on s' cache, il va s' méfier.

 

Estelle, bas, à Antoine : Surtout, reste naturel.

 

Léontine, bas, à Gaston : J'ai peur de...

 

Antoine, bas, à Estelle : Mes nerfs, ils vont...

 

Léontine, même jeu : ...craquer s'il se pointe. Il ne faut pas me...

 

Antoine, même jeu : ...lâcher. S'il veut me...

 

Léontine, même jeu : ...forcer à...

 

Antoine, même jeu : ...parler, je ne pourrais pas !

 

Léontine, même jeu : ...rester ici !

 

Antoine & Léontine, ensemble : Partons !

 

(A ce moment Moulinet entre à gauche.)

 

Moulinet : Alors, quand est-ce qu'on mange ?

 

(Antoine et Léontine prennent peur ensemble et s'enfuient en poussant des cris, malgré un geste de Gaston et Estelle, trop surpris pour les retenir vraiment. Ils sortent à droite. Moulinet, naturellement, ne comprend rien à la situation.)

 

 

 

Scène 11

 

 

Moulinet : Eh bien, alors ? Qu'est-ce qui leur prend ? On ne peut plus parler de manger, maintenant ? (A Gaston.) Elle est malade, votre dame ?

 

Gaston : Non. Enfin, ouais. Un peu. C'est-à-dire que... (Brusquement illuminé.) Elle supporte plus l'idée de bouffer. Elle a mangé trop de saucisses « Gros Porc ».

 

Moulinet, se croyant insulté : « Gros Porc » ! Dites donc, faut pas vous gêner, espèce de...de... cornichon !

 

(Estelle en profite pour s'éclipser à gauche.)

 

Gaston : Cornichon ! Cornichon ! Toi-même, eh, patate !

 

Moulinet : Oh ! ça, c'est trop fort ! Se faire insulter par un petit crétin malodorant !

 

Gaston : Non, mais, tu t'es pas regardé, andouille !

 

(Les deux hommes commencent à se battre, de façon assez grotesque. Gilles, attiré par le bruit, entre à droite.)

 

Gilles : Mais que se passe-t-il, ici ? (Scandalisé, en découvrant la scène.) Messieurs ! Voyons, messieurs ! (Essayant de les séparer, il reçoit quelques coups. Pleurnichard.) Oh, mais ça fait mal !

 

(Mme Chabron arrive alors à droite. Elle porte un tablier. Visiblement, elle s'occupait de la cuisine.)

 

Mme Chabron : Quels sont ces cris ? Pas de scandale ! (Voyant Gilles au milieu de la bagarre, elle le saisit vigoureusement et le tire par l'oreille.) Viens ici, toi ! Je t'ai déjà défendu de te battre !

 

Gilles, protestant : Mais ...

 

(Il s'interrompt en recevant une gifle de sa mère.)

 

Mme Chabron : Tiens, ça t'apprendra ! Et que je ne t'y reprenne plus !

 

(Moulinet et Gaston se figent en voyant une scène aussi surprenante. Silence gêné.)

 

Mme Chabron, se rendant compte alors de la situation : Je... je suis la garante morale de cet établissement, et je dois donc réprimander les membres du personnel lorsqu'ils se comportent mal.

 

Gaston : L'a rien fait, lui ! C'est nous qu'on s' bat !

 

Mme Chabron : Eh, bien ! je vous interdis de vous battre ici.

 

Gaston : Non mais, on fait ce qu'on veut ! Au prix qu' ça coûte de venir chez vous !

 

Mme Chabron : Ce n'est pas vous qui payez.

 

Gaston : N'empêche ! Et vous ? Vous lui foutez une baffe alors qu'il a rien fait ! Vous allez pas nous donnez des leçons, non ?

 

Moulinet, observant la tenue de Mme Chabron : Pourquoi portez-vous ce tablier ?

 

Mme Chabron : Je... j'inspectais les cuisines, et les règles de l'hygiène exigent...

 

Moulinet, cherchant à identifier une odeur qu'il vient de découvrir : A propos de cuisine, vous ne trouvez pas qu'il y a une petite odeur de brûlé ?

 

(Betty entre à droite en criant.)

 

Betty : Maman ! Maman ! Y'a tout qui brûle !

 

Gilles : Surtout, nous devons garder notre sang-froid.

 

Mme Chabron : Au feu !

 

Moulinet & Gaston : Au feu ! Au feu !

 

(C'est la panique. Tout le monde s'agite et crie. Gilles téléphone, s'abritant derrière le bureau. Moulinet sort à gauche, entraînant Gaston. Antoine entre à droite, cherchant quoi faire. La comtesse entre à gauche, curieuse. Antoine sort à gauche. Léontine, effrayée, entre à droite et sort aussitôt à gauche. Moulinet et Gaston entrent à gauche avec des récipients. Ils sortent à droite. Pendant tout ce temps, Mme Chabron essaie de calmer Betty qui ne cesse de hurler « Au feu ! ». Puis on entend la sirène des pompiers.)

 

 

Et c'est sur cette agitation générale que, lentement, se ferme le

 

R  I  D  E  A  U


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