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Pas d’hommes ici !


Acte I



Chez Nicole. Une pièce servant probablement de salle de séjour : une table, quelques chaises et fauteuils, deux ou trois meubles. Quatre entrées : à gauche (côté jardin), au centre : l’accès aux chambres; au fond (face au public) débouche le corridor menant à la bibliothèque ; à droite (côté cour), au fond : le petit couloir conduisant à la porte extérieure ; devant, toujours à droite : la porte de la cuisine.

A l’ouverture du rideau, Eugénie, en pleine inspiration, est seule en scène.

 

Eugénie, déclamant :
Dans l’Olympe éthéré, à la table des dieux,
La superbe Athéna dit au maître des lieux :
« ô notre souverain, ô Zeus omnipotent,
La guerre des Troyens dure depuis longtemps.
Voilà dix ans déjà que le fier Ménélas
De son épouse Hélène s’est vu privé, hélas !,
Par le jeune Pâris, l’ingrat fils de Priam,
Qui remercia son hôte en lui prenant sa femme.
Pour ce mortel affront Ilion doit payer,
Etre vaincue, détruite, anéantie, pillée.
Sur leurs nombreux vaisseaux, les Achéens vainqueurs
Repartiront alors, ayant vengé l’honneur
Et du fils des Atrides et de toute l’Hellade. »
A la blonde Aphrodite, alliée de la Troade,
Que le frère d’Hector un jour avait élue
Plus belle des déesses, tout ce discours déplut.
« Roi de Lacédémone, le fourbe Agamemnon
Fit enlever la fille d’un prêtre d’Apollon.
Un homme qui ainsi défie les dieux sans honte
Mérite-t-il vraiment une victoire si prompte ? »
Dressée contre Pâris par son orgueil jaloux,
Héra prit la parole et dit...

 

(Germaine entre à droite, devant.)

 

Germaine : Qu’est-ce que tu f... ?

 

Eugénie :
Cette œuvre est composée d’alexandrins classiques
Et son thème est puisé à la source homérique
Des luttes héroïques et des combats glorieux
Qui opposèrent jadis et les hommes et les dieux.

 

Germaine : Ouais, bah amène-toi ! C’est not’ tour de faire la plonge et on va encore s’ faire eng...

 

Eugénie :
Il me faut donc encore - que la vie est cruelle ! -
Abandonner un temps mes amis Immortels,
Retrouver ma nature, redescendre sur Terre
Pour aller effectuer des tâches ménagères.

 

(Elles sortent à droite, devant. Michel entre alors à droite, au fond. Il regarde autour de lui, inspecte les lieux. Alfred entre alors à droite, au fond.)

 

 

Scène 2

 

 

Alfred : Patron ! Je vous avais dit d’attendre dehors pendant que j’allais chercher nos affaires.

 

Michel : Alfred ! N’oublie jamais que c’est moi qui donne les ordres. Compris ? (Alfred fait signe que oui.) Bien. Alors, c’est ça, ta super planque ?

 

Alfred : Oui, patron. L’endroit est idéal. Juste en face du tribunal. Comme ça, demain, vous pourrez buter le juge dès qu’il sortira.

 

Michel : Crétin ! On ne cite jamais la cible d’un contrat. Et c’est quoi, ici ?

 

Alfred : Une sorte de foyer, ou de pension de famille, je sais pas très bien comment vous dire. Réservé aux femmes uniquement.

 

Michel : Aux femmes ?

 

Alfred : Oui, patron. Vous n’avez pas vu le panneau à l’entrée ? « Pas d’hommes ici ! » C’est pour ça que mon idée est géniale. Les flics viendront jamais nous chercher ici.

 

Michel : Et aux femmes d’ici, qu’est-ce que tu as dit ?

 

Alfred, sortant deux robes de son sac : Rien, mais j’ai pensé à tout.

 

Michel : Tu plaisantes ?

 

Alfred : Mais non, patron. Elles vous plaisent pas ?

 

Michel : Tu les as volées ?

 

Alfred : Je les ai piquées à ma femme. ça a même provoqué une scène et elle s’est barrée.

 

Michel : Il est trop tard pour changer de plan. Cela m’apprendra à faire confiance à un imbécile. Allons nous changer avant qu’on nous voie.

 

Alfred : Par ici, patron. ça a l’air tranquille. Vous préférez laquelle ?

 

(Ils sortent au fond. Géraldine, Lucie, Geneviève et Elisabeth entrent à droite, devant.)

 

 

Scène 3

 

 

Lucie, sortant d’un tiroir la boîte de dominos : Qui fait une partie ?

 

Géraldine : Ouais. Faut bien faire quelque chose.

 

Elisabeth : Si tu allais au lycée, tu serais davantage occupée.

 

Géraldine : Oh, ça suffit, toi ! Si je me suis cassée de chez moi, c’est pas pour que tu remplaces ma mère.

 

Geneviève : Arrêtez de vous disputer. Si Nicole vous entend, vous allez être de corvée de patates pour deux semaines.

 

(Jacqueline entre à droite, devant.)

 

Lucie : Tu joues avec nous, Jacqueline ?

 

Jacqueline : Avec plaisir. (Geneviève éternue.) A tes souhaits, Geneviève.

 

Geneviève : Merci. Je crois bien que j’ai encore pris froid.

 

Lucie : Elisabeth ?

 

Elisabeth : Seulement quelques parties. J’ai encore du travail.

 

Geneviève : Je vais dormir un peu.

 

(Elle sort à gauche. Les autres commencent à jouer.)

 

Jacqueline : Qui a le double-six ?

 

Elisabeth : Moi.

 

(Elle le pose et la partie continue durant la conversation.)

 

Lucie : Et ta thèse ? Elle progresse ?

 

Elisabeth : J’espère l’achever très prochainement. Mais laisse-moi réfléchir à la partie.

 

Jacqueline : C’est à qui de jouer ?

 

Géraldine, sèchement : Toujours à celle qui demande.

 

Jacqueline : Excusez-moi. (Elle joue.) Mais tu pourrais être plus aimable.

 

Géraldine : A chaque fois que tu joues, c’est pareil. Tu suis rien de la partie.

 

Jacqueline : Je suis parfois un peu distraite, mais ce n’est pas une raison pour me parler sur ce ton.

 

Géraldine, ironique : Ah, oui. C’est vrai. J’oubliais. Le respect des cheveux blancs...

 

Jacqueline, blessée : Oh ! Petite impertinente !

 

Elisabeth : Un peu de silence, s’il vous plaît ! Je n’arrive pas à me concentrer.

 

Géraldine : Et toi, arrête de jouer les intellos ! C’est pas une partie d’échecs.

 

Elisabeth : Néanmoins je pourrais aisément te démontrer que la réflexion permet de remporter la partie.

 

Géraldine : Cause toujours.

 

Elisabeth : Tu me mets au défi ? Soit. Une partie suffira.

 

Lucie : D’accord. Cela m’intéresse beaucoup.

 

Géraldine : Minute ! J’ai pas dit oui.

 

Elisabeth : Tu crains une défaite.

 

Géraldine : J’ai peur de rien. Et surtout pas de toi. On y va.

 

Jacqueline : Puisque je ne peux plus jouer, je vous laisse.

 

Géraldine : C’est ça.

 

(Jacqueline sort à gauche.)

 

 

Scène 4

 

 

Lucie : Je reste pour arbitrer le match... si vous êtes d’accord.

 

Géraldine : Pour moi ça va.

 

Elisabeth : J’accepte également.

 

Lucie : Choisissez vos dominos.

 

(Germaine entre à droite, devant.)

 

Germaine : Bah pourquoi qu’elle joue pas, Lucie ?

 

Elisabeth : Il s’agit d’une démonstration de la supériorité de la Raison sur la précipitation inconsidérée.

 

Germaine : Quoi ?

 

Géraldine : Elle vouloir faire montrer à moi que cervelle à elle servir pour gagner jeu.

 

Germaine : Hein ?

 

Lucie : Elisabeth essaie de prouver à Géraldine qu’il suffit de réfléchir pour gagner.

 

Germaine : Ah ! Ben, merci Lucie. V’ là enfin quelqu’un qui cause correct.

 

(Elle les regarde jouer de loin.)

 

Elisabeth : La partie est presque terminée.

 

Géraldine : Te réjouis pas trop vite.

 

Germaine : Pourquoi qu’ Géraldine, elle a plus les mêmes dominos que t’ t à l’heure ?

 

Lucie : Parce qu’elle en a posé certains et pioché d’autres.

 

Germaine : Ben non. Elle avait le double-quatre, et le double-un, pis ils ont disparu.

 

Elisabeth : Petite tricheuse ! Mauvaise joueuse !

 

Géraldine : Mais non ! C’est pas vrai. Elle raconte n’importe quoi.

 

Lucie : En tant qu’arbitre, je dois reconnaître que je n’ai rien vu.

 

Elisabeth : Oui, mais Germaine l’a vu, elle. Cela me suffit. J’ai gagné.

 

Géraldine : Ça va pas, non ?

 

(Entrée de Nicole, à gauche.)

 

Scène 5

 

 

Nicole : Silence !

 

Elisabeth : Tu n’as même pas le courage de reconnaître ton infériorité.

 

Géraldine, à Germaine : Sale menteuse ! Pourquoi tu as raconté ça ?

 

Lucie : Calmez-vous !

 

Nicole, frappant la table : J’ai dit « silence » ! (Les quatre autres se taisent et se mettent au garde à vous.) Qu’est-ce que cela signifie ? Où est-ce que vous vous croyez ?

 

(Lourd silence. Dans leur dos, au fond, apparaissent alors discrètement Michel et Alfred, en robe. Ils gagnent rapidement la sortie de droite, au fond, sans bruit.)

 

Lucie : Elisabeth et Géraldine étaient en train de...

 

Nicole : Je ne veux rien savoir. Vous ferez toutes la prochaine corvée de patates.

 

Géraldine : Mais c’est Elisabeth qui...

 

Nicole : Vous ferez les trois prochaines corvées. Autre remarque ?

 

Elisabeth : Non, Nicole.

 

Nicole, à Germaine : Et toi, qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pas de vaisselle aujourd’hui ?

 

Germaine : J’ supporte plus Eugénie. Elle est pas normale, c’ te fille. On fait la plonge et elle, elle pond des vers sur l’eau « pufricatice ».

 

Elisabeth : Purificatrice.

 

Nicole : Retourne là-bas tout de suite ou je te flanque au trou pour abandon de poste. Et que ça saute ! (Germaine sort à droite, devant.) Dispersion ! Je fais l’inspection des chambres dans un quart d’heure.

 

(Elles sortent toutes : Géraldine au fond, Elisabeth à droite, au fond, Lucie à droite, devant, puis Nicole à gauche. Michel et Alfred entrent alors à droite, au fond.)

 

 

Scène 6

 

 

Alfred : Y’a plus personne, patron.

 

Michel : Ne m’appelle pas patron, imbécile. Nous sommes deux femmes, à présent.

 

Alfred : Excusez-moi, patron. Enfin, je veux dire... Comment je dois dire ?

 

Michel : Je ne sais pas... Jacqueline, par exemple.

 

Alfred : Ah, non. Pas ça ! C’est le prénom de ma femme.

 

Michel : Appelle-moi comme tu veux.

 

Alfred : Euh... Micheline, ça vous va ?

 

Michel : Je m’en moque, du moment que tu ne fais pas de gaffe.

 

Alfred : Parce que, comme vous vous appelez Michel, pour moi, c’est plus facile à retenir. (Expliquant, fier de lui.) Michel... Micheline. Vous saisissez ? (Aucune réaction de Michel.) Mais c’est simple ! Michel... Michel-ine. Vous comprenez pas ?

 

Michel : Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi j’ai accepté de travailler avec un abruti de ton espèce. Ah ! Surtout, n’oublie pas de prendre une voix féminine.

 

Alfred, essayant : Comme ça ?

 

Michel : Non. (Modifiant sa voix.) Comme ça.

 

Alfred : Comme ça ?

 

Michel : Mais non. Fais un effort.

 

Alfred : J’y arrive pas.

 

Michel : Alors tais-toi.

 

(Geneviève entre à gauche. Elle ne leur prête aucune attention.)

 

Michel, modifiant sa voix : Bonjour.

 

Geneviève : Vous avez de l’aspirine ?

 

Michel, surpris : Non.

 

Geneviève : C’est ennuyeux. J’ai fini la boîte ce matin et j’ai encore mal à la tête.

 

(Elle sort à droite, au fond, laissant les deux hommes interdits. A cet instant Eugénie entre à droite, devant, en pleine inspiration.)

 

Eugénie :
Le doux zéphyr au souffle chaud
Par jaloux orgueil désirant
Défier un jour l’océan
Rida la surface des eaux.
Seigneur des mers, le grand Neptune,
Réveillé par ce courant d’air
Sortit de l’onde très en colère
Et gravement lui fit... lui fit...
(Elle regarde les deux hommes, qui ne comprennent pas, comme si elle attendait d’eux une aide pour finir le vers.)
Employons le recours ultime :
A mon dictionnaire de rimes !

 

(Elle sort à gauche.)

 

Michel : Tu aurais pu choisir un endroit mieux fréquenté.

 

Alfred : Je pouvais pas deviner, patron. Quand ma femme m’en a parlé, ça avait l’air très bien.

 

Michel : Elle est déjà venue ?

 

Alfred : Pas elle. Une de ses amies qui habitait là.

 

(Géraldine entre au fond. Elle s’arrête en les voyant.)

 

Géraldine : Salut. Vous êtes nouvelles ?

 

Michel : Oui, nous arrivons à l’instant.

 

Géraldine : Bougez pas. Je vais chercher Nicole.

 

Michel : Merci beaucoup.

 

(Elle sort à gauche.)

 

Alfred : Ouf ! Enfin une qui a l’air normal.

 

Michel : A partir de maintenant, plus un mot !

 

Alfred : N’ayez pas peur, patron. Je sais tenir ma langue. Et moi, quand on me demande de me taire, ce n’est pas la peine de me le dire deux fois. Ah, ça ! Si y’a un truc que je sais faire, c’est bien de me taire quand on me le demande. Une carpe, un tombeau. Lotus et mouche foutue, c’est ma devise. Je ne dirai rien. Mais alors, rien du tout. Ce qui s’appelle rien. Parce que, vous savez, y’en a certains... Je ne citerai personne parce que je suis un gars discret, mais j’en connais plus d’un qui promettent le silence et qui à la première occasion n’hésitent pas à...

 

Michel, l’attrapant et le frappant : Tu vas la boucler, oui ?

 

(A cet instant Nicole entre à gauche.)

 

 

Scène 7

 

 

Nicole : Alors, c’est vous, les nouvelles ?

 

Michel : Oui. Bonjour, Madame. Vous êtes la directrice ?

 

Nicole : Ici, on m’appelle Nicole. Et tout le monde se tutoie. L’esprit d’équipe.

 

Michel : Bien.

 

Nicole : Attention. Je ne sais pas qui vous a donné l’adresse, et je ne veux pas le savoir. Mais je vous préviens tout de suite : c’est pas un club de vacances, ici. On ne vous demande pas d’argent : on exige simplement de vous de la discipline et la participation aux travaux quotidiens. Compris ?

 

Michel : Oui, Nicole.

 

Nicole, à Michel : Ton nom ?

 

Michel : Micheline.

 

Nicole, à Alfred : Et toi ?

 

Michel : Elle s’appelle euh... Frieda.

 

Nicole : Elle n’est pas assez grande pour répondre toute seule ?

 

Michel : Elle ne comprend pas notre langue. Elle est tchèque.

 

Nicole : Ça ne me dérange pas. Ici, c’est comme à la Légion : on accepte tout le monde, mais si elle veut rester elle doit apprendre le français. Germaine !

 

(Germaine entre à droite, devant.)

 

Germaine : Ouais. Qu’est-ce qu’y’ a ?

 

Nicole : Conduis Micheline et Frieda à leurs chambres.

 

Germaine : OK. Suivez-moi.

 

(Ils sortent tous : Nicole à droite, devant, les autres à gauche. Jacqueline entre au fond, l’air déprimé, puis Geneviève apparaît à droite, au fond.)

 

 

Scène 8

 

 

Jacqueline : Dis-moi, Geneviève. Ai-je vraiment des cheveux blancs ?

 

Geneviève : Tu n’as pas un peu d’aspirine ?

 

Jacqueline : N’essaie pas d’éluder la question. Réponds-moi franchement, même si ça doit me faire mal. Je suis vieille et laide, c’est ça ?

 

Geneviève : N’insiste pas. J’ai une migraine terrible.

 

(Elle sort à gauche.)

 

Jacqueline : C’est abominable ! Je suis si affreuse qu’on n’ose même plus me le dire ! (Lucie entre à droite, devant.) Lucie, dis-moi la vérité. Suis-je réellement repoussante ?

 

Lucie : Mais non, voyons. Quelle idée !

 

Jacqueline : Tu es gentille, mais il y a des signes qui ne trompent pas. Ces cheveux blancs qui apparaissent, mon mari qui me trompe...

 

Lucie : Arrête de te tourmenter pour cette histoire. Tu n’as pas de preuve de son infidélité.

 

Jacqueline : Ne me prends pas pour une naïve. Il me volait même mes affaires pour les lui offrir. Non. (Au bord des larmes.) Je ne lui plais plus parce que j’ai vieilli, c’est évident. (Brusquement, résolue.) J’ai compris. Je sais ce qu’il me reste à faire.

 

Lucie, inquiète : Que veux-tu dire ?

 

Jacqueline : Inutile d’essayer de me retenir. Ma décision est prise.

 

(Elle sort à droite, au fond. Jacqueline sort derrière pour la rattraper mais réapparaît presque aussitôt, en reculant devant l’entrée d’Alexandre.)

 

 

Scène 9

 

 

Alexandre : Ne sors surtout pas !

 

Lucie : Alex ! Que fais-tu ici ?

 

Alexandre : Je suis venu te mettre en garde.

 

Lucie : Que se passe-t-il ?

 

Alexandre : Papa avait raison de te mettre à l’abri. Il a encore reçu des menaces ce matin.

 

Lucie : Comment va-t-il ?

 

Alexandre : Il tiendra le coup. Mais tu dois rester très prudente. Des gangsters qui menacent un juge peuvent être très dangereux.

 

Lucie : Je voudrais le voir.

 

Alexandre : Pour l’instant, c’est trop risqué. Mais le procès sera fini dans deux ou trois jours. Après, nous n’aurons plus rien à craindre.

 

Lucie : Je suis si inquiète !

 

Alexandre : Calme-toi. La police est sur une piste et nous aurons bientôt du nouveau.

 

Lucie : Reviens cette nuit pour me tenir au courant. Maintenant tu ne peux pas rester. Il ne faut pas qu’on te voie ici.

 

Alexandre : Entendu. Je retourne à mon cabinet. Mais ne sors sous aucun prétexte. A ce soir.

 

Lucie : Sois prudent.

 

(Il sort à droite, au fond. Germaine, Michel et Alfred entrent au fond.)

 

 

Scène 10

 

 

Germaine : ...et vous voyez, si on prend l’aut’ e porte, on arrive ici.

 

Michel : C’est grand. On s’y perdrait.

 

Germaine : Elle, c’est Lucie. (A Lucie.) Elles viennent d’arriver.

 

Lucie, toujours inquiète : Bonjour.

 

Michel, sensible à son charme : Bonjour. Je suis Micheline, et voici Frieda.

 

Lucie : Bonjour.

 

Michel : Elle ne parle pas français.

 

Lucie : Ah ! Excusez-moi.

 

(Elle sort à gauche.)

 

Germaine : Y’a aussi Jacqueline, la seule qu’ est mariée, Géraldine, la jeunette, Geneviève, qu’ est tout le temps malade...

 

Michel : C’est elle qui cherchait de l’aspirine ?

 

Germaine : Ouais, sûrement. Y’a aussi Elisabeth, l’intello, pis Eugénie, qui délire et qui dit des vers. Elle, vous pouvez la rater.

 

Michel : Et de quoi vivez-vous exactement ?

 

Germaine : Personne le sait. (Plus bas.) Il paraît qu’ Nicole aurait un paquet d’ pognon, mais y’a personne qu’ ose lui poser d’ question. C’est comme son dégoût pour les mecs, on sait pas d’où qu’ ça vient.

 

Michel, bas aussi : Elle les déteste tant que ça ?

 

Germaine, même jeu : Vous avisez pas d’en amener un ici ; elle est capable de l’étriper. (Haut.) Bon. Pour gagner sa croûte, y faut bosser. Chacune a un truc à faire. Y’a que’ que chose que vous préférez : le ménage, le r’ passage, la plonge ?

 

Michel : Eh bien, nous... euh...

 

Germaine : ça vous dirait pas de faire la bouffe ? Parce que celle qui s’en occupe pour l’instant, elle est un peu spéciale. Ce midi, elle a fait des sardines aux fraises.

 

Alfred : Beurk !

 

Germaine : Tiens, elle comprend. T’as raison. C’est vraiment deg... (Elisabeth entre à droite, au fond.) V’ là Elisabeth. (A Elisabeth) J’ te les laisse. Faut qu’ j’ m’occupe des poubelles.

 

(Elle sort à droite, au fond.)

 

 

Scène 11

 

 

Michel : Bonjour. Je m’appelle Micheline, et voici Frieda. Elle est tchèque.

 

Elisabeth : Ah ! Dobrý den. Mlurím ‘cesky.

 

Alfred : Mmmmh...

 

Michel : Qu’est-ce que vous... Que lui as-tu dit ?

 

Elisabeth : Simplement bonjour. Et que je parle tchèque couramment. Mais pourquoi ne répond-elle pas ?

 

Michel : Elle a une rage de dents, je crois.

 

Elisabeth : La pauvre ! Il faut l’emmener tout de suite chez un spécialiste.

 

Michel : Non, non. Merci beaucoup. Cela lui arrive de temps à autre, mais cela ne dure jamais longtemps. Dans un quart d’heure, ce sera fini.

 

Elisabeth : Tant mieux. Ainsi, nous pourrons discuter. J’ai si peu l’occasion de parler tchèque ! Germaine vous a-t-elle fait visiter les lieux ?

 

Michel : Les chambres seulement, et la bibliothèque.

 

Elisabeth : Alors, par ici se trouvent la cuisine et la salle à manger. Suivez-moi.

 

(Ils sortent à droite, devant. Germaine entre, à droite, au fond, puis Géraldine entre à gauche.)

 

 

Scène 12

 

 

Géraldine : Germaine ! On a un compte à régler, nous deux !

 

Germaine : Chut ! J’ vais t’expliquer.

 

Géraldine : Je t’écoute. Pourquoi tu as dit que j’avais triché ?

 

Germaine : J’ai vu qu’Elisabeth allait gagner. J’ aurais pas supporté ça. Elle aurait trop fait la fière.

 

Géraldine : Bon, d’accord. Mais j’ai l’air de quoi, moi, maintenant ?

 

Germaine : T’as qu’à d’ mander ta revanche. J’ dirais que je me suis p’ t-être gouré.

 

Géraldine : Et si je perds ?

 

Germaine : Te bile pas. J’ vais t’aider à gagner.

 

Géraldine : Comment ?

 

Germaine, prenant un domino : Regarde. Qu’est-ce que tu vois ?

 

Géraldine : Ben... Le double-trois.

 

Germaine, le posant sur la table : T’es sûre ? Regarde mieux.

 

Géraldine, le retournant : Ben mince ! Le double-six ! Comment t’as fait ça ?

 

Germaine : C’est un pote à moi qui m’a appris quelques petits trucs. Il était pas très honnête.

 

(Geneviève entre à gauche. Elle s’assied, un peu pâle.)

 

Geneviève : Vous n’auriez pas quelque chose pour les maux d’estomac ?

 

Géraldine : Non. Fiche-nous la paix.

 

Geneviève : Je vous assure que je ne vais vraiment pas bien.

 

Germaine : On n’a rien pour toi. (A Géraldine.) Viens, on va causer d’ ça ailleurs.

 

(Elles sortent au fond. Eugénie entre à gauche.)

 

 

Scène 13

 

 

Eugénie :
Au pays des nuages, le bon Père Noël,
Reçut une missive qui contenait ces mots :
« Salut, mon vieux, ça va ? Moi, mon nom, c’est Joël »
Et je veux commander le plus beaux des cadeaux.
(Geneviève, semble de plus en plus malade.)
Je veux un truc super, un machin magnifique
Que les autres n’ont pas, un bidule magique,
Une chose inconnue, inouïe, originale,
Et extraordinaire, bref un engin génial.
(Geneviève se lève et sort rapidement à droite, devant.)
Le généreux vieillard, devant ces exigences,
Dut alors faire appel à son intelligence,
Son imagination et son puissant talent
Pour créer et construire ce fabuleux présent.
(Geneviève traverse de droite, devant, à gauche.)
L’enfant si exigeant, qui voulait tout avoir,
Reçut ce qu’il souhaitait dès le lendemain soir.
C’était une enveloppe, toute simple, en papier,
Sur laquelle on voyait des étoiles briller.
L’enveloppe était vide. L’enfant fut satisfait.
Car ce cadeau magique il ne l’ouvrit jamais.
Son imagination l’avait emplie alors :
Elle contenait pour lui un merveilleux trésor.

 

(Nicole entre à droite, devant.)

 

Nicole : Qu’est-ce que tu fais là ? Tu devrais être dans ta chambre. C’est l’heure de l’inspection.

 

Eugénie :
Sache qu’il n’est point d’heure pour mon inspiration.
(Regard menaçant de Nicole.)
Soit, encore une fois, je vais à l’inspection.

 

(Elle sort à gauche.)

 

 

Scène 14

 

 

Nicole : Elisabeth ! (Elisabeth entre à droite, au fond.) Où est-ce que tu en es, avec les nouvelles ?

 

Elisabeth : Je leur expliquais l’organisation de la maison.

 

(Michel et Alfred entrent à leur tour à droite, au fond.)

 

Nicole : Vous vous occuperez du ménage toutes les deux. Commencez par cette pièce. Et que ce soit propre ! Sinon, vous pourrez aller dormir ailleurs !

 

Elisabeth : Vous trouverez tout le nécessaire dans le placard du couloir.

 

(Michel et Alfred sortent à droite, au fond.)

 

Nicole : Qu’est-ce que tu penses d’elles ?

 

Elisabeth : Frieda me semble tout à fait stupide. Elle ne comprend même pas sa propre langue.

 

Nicole : L’important, c’est le travail et la discipline. Faut les voir à l’œuvre. Laissons-les faire.

 

(Elles sortent à gauche, tandis que Michel et Alfred reviennent à droite, au fond, avec des balais.)

 

 

Scène 15

 

 

Alfred : Bravo, patron, pour le coup de « elle est tchèque ». Mais comment je vais faire, maintenant ?

 

Michel : Tu parles le moins possible et si tu y es obligé, tu prends une voix de femme avec un accent.

 

Alfred : Mais j’y arrive pas !

 

(Michel lui donne sur le pied un violent coup de manche à balai et Alfred laisse échapper un petit cri aigu.)

 

Michel : Tu vois que tu peux.

 

Alfred : Mais là, c’est pas pareil. Vous m’avez fait mal.

 

Michel : Je suis prêt à recommencer si cela peut t’aider.

 

Alfred, prenant une voix aiguë : Merci, je vais y arriver tout seul.

 

Michel : Très bien. Au travail, à présent.

 

(Michel s’installe dans un fauteuil et attend qu’Alfred fasse le ménage.)

 

Alfred : Vous balayez pas, patron ?

 

Michel : Moi ! Balayer !

 

Alfred : Mais patron, si la patronne d’ici vous voit assis là, elle va vous mettre dehors. Et avec tous les flics qu’il y a dans le coin...

 

Michel : Tu les as vus ?

 

Alfred : Oui, tout à l’heure. Ils commencent à boucler le quartier pour demain. Vous savez, on est vraiment sur un gros coup. Ce Pordignac, qui vous paye, il risque gros dans ce procès.

 

Michel : Nous sommes bloqués ici, alors.

 

Alfred : Oui. C’est pour ça qu’on n’a pas intérêt à se faire virer.

 

Michel : Je refuse quand même de travailler. Je dirais à cette Nicole que je souffre du dos.

 

Alfred : Méfiez-vous. Elle a pas l’air commode.

 

Michel : Peuh ! Ce n’est qu’une femme !

 

(Nicole revient alors à gauche.)

 

Scène 16

 

 

Nicole, entrant : Alors, ça avance ?

 

Michel, saisissant un balai et s’activant brusquement : Oui, oui. Tout va bien.

 

Nicole : Attention. Je ne veux pas retrouver un grain de poussière.

 

Michel : Bien sûr. Ne vous inquiétez pas.

 

Nicole, criant : J’ai dit « tout le monde se tutoie ! » (Calmement.) C’est plus sympathique.

 

Michel : Oui, oui. Excuse-moi.

 

(Alfred rit doucement.)

 

Nicole : Et elle, qu’est-ce qu’elle a, à rire comme ça ?

 

Michel : Ce n’est rien. Elle est toujours très gaie. Elle aime beaucoup faire le ménage.

 

Nicole : Ah ! Très bien. J’aime ça, l’ardeur à la tâche.

 

(Elle sort à droite, devant.)

 

Alfred, ironique : Alors, patron, vous n’avez pas peur des femmes ?

 

Michel : Idiot ! La situation exige de nous quelques sacrifices. Mais en d’autres circonstances...

 

Alfred : Oui, oui.

 

Michel : Allez, il faut que ce soit très propre.

 

(Il balaie dans tous les sens.)

 

Alfred : Vous avez souvent balayé ?

 

Michel : Pourquoi ?

 

Alfred : Parce que comme ça, vous êtes pas très efficace. Regardez.

 

(Il balaie soigneusement.)

 

Michel : C’est mieux, comme cela ?

 

Alfred : Evidemment. Comment vous faites pour ramasser la poussière, sinon ?

 

Michel : Ramasser la poussière ?

 

Alfred : Oh, là, là, là ! On voit que vous n’êtes pas marié.

 

Michel : Cela suffit. Je vais m’occuper des meubles.

 

Alfred : Bonne idée.

 

(Nicole revient à droite, devant.)

 

Nicole : C’est fini ? (Elle observe Michel qui frotte la table.) Il faut que ça brille.

 

Michel : Mais il y a des taches de café.

 

Nicole : Je ne veux pas le savoir. Toutes les taches doivent disparaître. Et que ça saute !

 

(Elle sort au fond.)

 

Alfred : Eh ben, elle plaisante pas ! Faire disparaître toutes les taches !

 

Geneviève entre rapidement à gauche, visiblement très malade. Elle vomit aux pieds des deux hommes, qui se regardent consternés. Et c’est alors que se ferme le

 

R  I  D  E  A  U



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